KARDUNG LA 5315m. Ascension à vélo. Récit détaillé.
Ascension du Khardung la à vélo.
5315m
Un des plus hauts cols routiers du monde
Août 2011
Avec Stéphane et Véro.
Ascension à la journée depuis Leh (Ladakh).
2000m de dénivelé positif
39 km de montée 39 km de descente
44 km goudronnés et 34 km de piste.
Quand le réveil sonne il est encore très tôt, nous sommes déjà réveillés. 6h du matin. L'hôtel est silencieux, au restaurant tout nous attend déjà. Une petite demi-heure plus tard, le petit déjeuner avalé, nous enfourchons nos machines juste devant l'hotel. Les vélos, des VTT loués la veille, en parfait état, nous permettent de remonter rapidement Leh qui s'éveille lentement. Un frisson d'émotion nous traverse le corps alors que nous attaquons les premières pentes. C'est notre premier grand col routier à une telle altitude et nous ne savons pas du tout comment nous allons nous comporter face à un tel effort. Certes nous avons
déjà gravi une trentaine de sommets de plus de 5000m d'altitude mais toujours à pied, jamais à vélo. Bien acclimatés par le trek de la quinzaine passée et l'ascension du Stok Kangri, un beau 6000m du Ladakh, nous entamons, sereins, cette belle journée que nous n'oublierons pas.
Certains documents à Leh ou sur internet affirment, en gonflant un peu les altitudes, que c’est le plus haut col du monde! Voire, d’après nos calculs il ne mesure que 5315m, ce qui est déjà pas mal, c’est donc certainement le second ou le troisième col routier au monde et son ascension suffira à notre bonheur de cyclo-randonneur.
Pour trouver la bonne direction, bien sûr, pas de panneau indicateur, nous sommes au Ladahk, mais au fond, c'est simple, c'est tout droit.
C'est tout droit mais pas tout plat. Les premiers kilomètres sont faciles et aussitôt spectaculaires car nous dépassons rapidement la ville et les collines qui l'entourent. Les vues sur les grands sommets de plus de 6000 m sont aussitôt extraordinaires. Véro reconnaît d'entrée le Stok Kangri et ses glaciers dont la couleur blanche éclatante tranche dans cet univers de désert, de cailloux et de sable. Nous, les garçons, inquiets et concentrés sur l'effort qui vient, gardons les yeux rivés sur le guidon.
Autre bonne surprise, la route, dès la sortie de la ville, est parfaitement balisée par des bornes kilométriques visibles et lisibles. Nous avons donc 39 km à parcourir et les premiers sont aisément avalés, ce qui nous rend optimistes pour la suite des évènements.
Par de nombreux lacets, toujours à flanc de montagne, nous remontons une belle vallée, large et ensoleillée. Nous croisons quelques travailleurs népalais, véritables forçats qui se rendent sur leur lieu de travail en marchant, un outil à la main. Nous nous saluons chaleureusement mais quel contraste entre notre vie et la leur. En tous cas, nous sommes vraiment heureux d'être là, tous les trois pour tenter cette ascension hors normes.
Nous roulons aisément pendant les premiers kilomètres, les difficultés viendront plus tard. De temps en temps, un écart se creuse entre nous mais cela n'est jamais grave car nous restons toujours à vue et la circulation automobile en ce début de montée est quasi nulle.
Nous sommes les rois du monde, en toute modestie, bien sûr.
Soudain, dans notre dos, des bruits de moteurs retentissent: ce sont des camions militaires qui bruyants et pétaradants comme les motards des routes de France, nous doublent. Mais eux, nous saluent et nous encouragent, visiblement notre effort les étonne et les enthousiasme.
Les kilomètres se suivent sans jamais se ressembler. Notre progression reste facile et régulière. Allons-nous vers une victoire facile? Nous savons bien que non mais pour le moment tout se présente bien. Nous rattrapons les camions militaires qui ont stoppé au bord de la route. L'excellent asphalte de la route nous permet de progresser sans difficultés mais ça aussi, nous savons que cela ne va pas durer.
Au bout d'une vingtaine de kilomètres, la route file vers le fond de l'immense vallée qui nous fait face. Un dernier effort et nous apercevons un hameau composé de quelques baraques en tôle. C'est notre premier village depuis Leh. Soudain
face à nous, une barrière, nous devons stopper c'est le chek-point attendu. Dès que nous mettons pied à terre, nous constatons que la fatigue nous est tombée dessus, il était temps de s'arrêter pour se ravitailler et se reposer sinon nous risquions de rentrer dans la zone rouge.
Nous posons les vélos et faisons quelques pas hésitants jusqu'au café-parachute qui est aussi le siège de la police locale.
La fatigue nous agresse maintenant violemment, elle nous écrase et nous colle sur les chaises en plastique de ce bar étrange perdu au bout de rien. Nous avons faim, soif, mal partout. Véro veille au grain et prend la direction des opérations de ravitaillement et de douane. Sous l’œil amusé, étonné et envieux des douaniers- militaires, elle nous fait tamponner nos petits documents officiels délivrés par l’agence de location des vélos, documents qui nous sont indispensables si nous voulons franchir cette maudite barrière qui nous fait face.
Demi-heure plus tard environ, soupe et thés avalés, documents officiels validés, jambes toujours flageolantes, estomac remplis, nous reprenons nos bécanes.
Et très vite nous déchantons: le goudron disparaît, le goudron disparaît, le goudron disparaît. Nous roulons sur de la piste, en espérons que cela ne va pas durer bien longtemps et que nous allons retrouver rapidement le bon vieil asphalte de chez nous. Et bien il n’en sera rien.
Nous avons déjà roulé sur 22 km de goudron, il nous reste donc 17 kilomètres à parcourir. 17 km, ce n’est pas une distance extraordinaire, c’est par exemple ce qui sépare Laruns de l’Aubisque, mais ici, à cette altitude, à plus de 4000 m, cela va être une sacrée paire de manches ou de pédales. Nous sommes maintenant vers 4600m, il nous reste 700m à gravir.
La route monte faiblement maintenant et va jusqu’au fond de l'immense vallée qui nous fait face pour piquer ensuite sur la droite. Dans un grand virage en épingle à cheveux, je m’arrête deux minutes pour admirer les paysages incroyables qui se déroulent sous mes yeux. Je suis tout seul, Stéphane et Véro sont devant, plus loin, plus haut. Un camion stoppe à coté de moi. Le chauffeur me salue chaleureusement. Entre sa vie et la mienne quel contraste, je ne sais pas s’il comprend bien ce que je fais là avec mon vélo mais au moins, il est fort sympathique. Je reprends la route et comprends immédiatement que nous ne reverrons plus le goudron de la montée même si les roues ne s’enfoncent pas dans le revêtement terreux de la piste. Pendant plusieurs kilomètres, la route encore bien large, garde cette direction Nord et sans monter fortement, nous permet de continuer à avancer sans trop d’efforts. Je rejoins mes deux amis. En point de mire une nouvelle épingle à cheveux qui va nous faire reprendre la direction du sud. Il est 5000 mètres, nous annoncent nos altimètres. Quelques baraques en tôle au bord de la route et nous continuons. Soudain un groupe de cyclistes qui descendent du col après y être montés en 4x4. J'en arrete un et dans mon mauvais anglais, lui demande si ce que nous voyons à quelques kilomètres de là, au fond de la vallée que nous remontons, est bien le col.
Il me répond favorablement. C’est bien, le moral remonte. Effectivement le col, belle entaille dans la crête qui nous fait face, n’a pas l’air bien éloigné. En réalité, il est tout de même à 5 ou 6 km avec 300 m de dénivelé ce qui à cette altitude va représenter encore de beaux efforts. La route maintenant file Nord puis Nord Ouest en coupant le versant droit de la montagne par d’innombrables virages de traversée. Chaque fois, on se croit arrivés et chaque fois ce n’est pas le bon virage, ce n’est pas le dernier, il faut aller jusqu’au suivant. Et ainsi de suite pendant un temps infiniment long. De temps en temps, des 4x4, des camions nous doublent, des cyclistes nous croisent. Dans la grande majorité des cas, les Indiens nous saluent et nous encouragent, les touristes eux ont autre chose à faire. Alors que nous commençons à désespérer d’en finir avec ces maudits virages, surgissent nos amis: Aimé; Evelyne, Gricha, Philippe! Ils font la descente sur Leh à vélo et n’ont pas pu nous attendre au col comme il était prévu.
Nou tombons dans leurs bras, on s’embrasse, ils nous encouragent. "Courage... plus qu’un quart d’heure... c’est facile ... c'est gagné ... vous y êtes ..." nous crient-ils avant de disparaître dans la descente !
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De plus en plus fatigués, nous repartons. En réalité il nous faudra encore une bonne demi-heure très pénible pour atteindre ce diable de col. Voici une dernière zone de travaux routiers et enfin, enfin après une dernière douleur qui nous fait puiser dans nos dernières réserves, nous atteignons le Khardung la et ses 5315m.
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On s’embrasse. Nous sommes heureux mais complètement épuisés, lessivés, ratissés. Il est 15h, cela fait 9 heures que nous sommes partis. Pas possible de prendre une seule photo, on s’assied sur un petit mur, il fait encore beau, le moment est génial, je m’endors aussitôt. Véro, elle, a trop peur de sombrer. Alors, elle nous surveille et marche un peu pour ne pas risquer elle aussi de s'endormir, dans cet endroit incroyable, hors du temps.
Le petit somme terminé, nous filons dans un petit restaurant, vide, ou hurle de la musique américaine de mauvaise qualité. Nous avalons goulûment une soupe de nouilles épaisse et chaude. Deux cafés plus
tard, cela commence à aller mieux. On peut sortir, enfin regarder les paysages, se prendre et se reprendre en photo et apprécier notre victoire. Cela va maintenant beaucoup mieux. Ainsi nous prenons Stéphane en photo devant "le plus haut café du monde" pour qu'il puisse s'afficher, dans son quartier général de Thouars.
Nous reprenons alors nos vélos et entamons la descente, suivis par 3 indiens qui sont eux aussi montés à vélo. Ce sont de vrais voyageurs avec sacoches et cartes. Nous nous lançons dans cette incroyable descente de 2000 mètres de dénivelé qui nous sépare de Leh. Au début les jambes toujours lourdes, le sol toujours aussi mou, nous interdisent la vitesse.
Pour ne pas prendre de risques, on enchaîne lentement les premiers kilomètres histoire de bien profiter de ces moments exceptionnels et rares. Nous roulons sur un sable dans lequel nos roues font de profondes traces. Pour descendre, nous sommes souvent obligés de bien appuyer sur les pédales.
Heureusement le temps comme toujours au Ladakh reste fixement beau et sec, c’est l’idéal pour cette descente qui risque fort de se révéler bien longue. Mais le vélo est un engin formidable qui nous rend ce moment vraiment magique, bien plus léger que la descente à pied toujours longue et pénible. Certes, dans le long faux plat descendant du début, probablement plombé par la fatigue, je fais une petite chute sans gravité mais qui plie tout de même la manette du frein avant.. Heureusement, nos amis Indiens, plus frais que moi, arrivent et me sortent de ce mauvais pas. La montagne est maintenant totalement déserte, les travailleurs sont rentrés chez eux, les touristes sont sous la douche et même les superbes camions colorés de la marque TATA, se font rares. L’air est frais, doux et si agréable, nous goûtons chaque instant avec gourmandise.
Tout à fait normalement, au fil de la descente, la fatigue, malgré le sable de la route, a tendance à disparaître. C’est bien le signe qu’elle était très directement lié à l’altitude et au manque d’oxygène, cela, depuis nos premières ascensions du Toubkal ou du Mont Blanc, , nous le savons bien.
Comme dans toutes les descentes nous retrouvons avec joie les éléments gagnés pendant la montée et qui donnent une dimension particulière à notre effort du matin. Revoilà le check point, nous stoppons, les militaires sont toujours aussi fascinés par Véro. Nous retrouvons aussi, immediatement, avec joie, le goudron.
De ce point, la descente n’est plus qu’une longue et incroyable glissade ou quelques coups de pédales nous permettent de parcourir les 15 km de descente qui nous restent en appréciant chaque détail, chaque couleur, chaque perspective de ces paysages immenses et fabuleux qui nous séparent de Leh.
Serge Capdessus 17 juin 2012