Merci à la famille Soumet.
Baurech le mercredi 9 décembre 2009
De temps en temps, sur les ondes de radio et de télévision, on entend parler « de justes ». Ce terme de « justes » porte une signification précise: ce sont les gens qui pendant la dernière guerre, au mépris de leur sécurité, ont sauvé des juifs, enfants ou adultes, les soustrayant aux griffes de l’occupant et de leurs complices. C’était un acte de bravoure - et de dignité, aurait dit mon père - engagé sans force, sans argent, sans intérêt, en utilisant simplement les armes de l’amour, et du respect de l’humanité.
Moi, enfant né en 1958, comme mes frère et sœur, je n’appartiens pas à la religion juive. Je n’ai pas connu cette guerre et pas davantage l’oppression nazie. Mais alors, pourquoi tout au long des ces 40 dernières années, chaque fois que j’entendais parler de ces « justes » pourquoi est ce que je pensais « moi aussi, j’en connais, des justes… » ?
Le 6 décembre 1971, ma petite famille Capdessus tombe sans comprendre dans un trou. Un trou noir, sans fond, ni fin, ni lumière. Autour de nous, tout change de goût, de couleur, d’allure, d’intérêt. Notre vie ne sera plus jamais comme avant. Autour de nous, se crée une zone grise qui essaie de nous aspirer. En quelques jours, notre mère perd le sourire, les gens nous regardent d’une façon différente, nous sentons sur nos épaules une énorme masse, la fête nous fait peur, nous avons froid, nous en voulons à la terre entière, le temps s’arrête...
Nous sommes des enfants (29 ans à nous trois) et nous sommes incapables de mettre des mots là-dessus.
Quarante ans après, je me demande si je ne sens pas encore ce poids sur mes maigres petites épaules.
Après ce début décembre froid et humide vient alors la fin décembre froide et triste. Cette fin décembre est alors, normalement, occupée par diverses fêtes et repas familiaux. Alors que nous nous préparions, sans rien comprendre, à aborder cette nouvelle période, si difficile, nous avons l’immense surprise de voir que le sol aussi se dérobait sous nos pieds. Tout s’effondrait, pour des prétextes dérisoires, la famille, enfin ce que l’on croyait être notre famille, nous tournait le dos. Nous nous retrouvions seuls. Notre mère qui faisait déjà tout pour nous, allait passer ce premier Noël seule avec ses trois enfants…
Et voilà qu’entrent en scène, Dédé et Pierrot, nos sauveurs de Noël, nos sauveurs de fête, nos sauveurs de sourire de notre mère, nos sauveurs de vacances à Banyuls, nos sauveurs de randonnées....
Ce qui n’est pas rien.
En effet, spontanément, dès qu'ils ont connaisssance de ce nouvel évènement, en quelques minutes, sans réflechir, ils bouchent le trou qui vient de s'ouvrir dans le sol, sous nos pieds: Ils nous invitent chez eux pour le jour de Noël.
Ainsi pendant des années, nous passerons la journée de Noël à Serres Castet ou dans le logement de l’école ou dans la maison familiale. Pas une fois en passant, par hasard, non 8, 10 fois, consécutives, jusqu'à ce que la vie nous laisse construire nos Noëls d’adultes.
Ce ne sera pas le grand Noël que nous avions connu mais c’était un vrai repas de Noël avec beaucoup de gaieté, de rires, de gentillesse, d’accueil, d’affection et de très bonnes choses à manger.
Enfants, nous jouions avec nos jouets ou avec ceux de Claude et d’Annie qui nous acceptaient toujours dans leur maison le jour de Noël. Il y avait toujours au fond de nous, ce poids sur notre estomac qui nous pesait toujours autant mais nous sentions aussi que cela plaisait à notre mère d’être là et cela nous faisait du bien. Nous n'aurions pas aimé passer cette journée seuls dans le logement de l'école ou dans notre maison de Buros. Madame S............Mère que nous appelions tout naturellement Mamie, douce et souriante, nous accueillait, elle aussi, du mieux qu’elle pouvait.
Alors nous n’étions pas heureux, ce n’était pas possible d’être heureux mais nous étions bien, à l'aise et contents d’être là.
Le temps est passé, mon petit frère Alain et Mamie, nous ont quittés mais je n'ai jamais perdu de vue ce geste formidable, unique, exceptionnel que vous avez fait pour nous et que je n'oublierai jamais.
Serge Capdessus